Les chanoines réguliers de l'Ordre de saint Antoine
La Maison de l'Aumône puis l'Ordre de Saint Antoine, un ordre hospitalier
Alors, sur l'emplacement de l'église paroissiale, commence la construction d'une nouvelle église conçue pour accueillir les pèlerins venus de toutes parts, attirés par la renommée de saint Antoine. A cette époque, de nombreuses épidémies déciment la population. L'une d'elles sévit en Europe et, peut-être, plus particulièrement en Dauphiné : c'est l'ignis sacer ou feu sacré. Selon la forme sous laquelle elle se manifeste Mal des Ardents ou Feu de saint Antoine.
En un temps où la médecine est pratiquement inexistante, les personnes atteintes viendront en nombre demander l'intercession d'un saint réputé comme thaumaturge et nouvellement honoré. Des guérisons ont lieu ce qui provoque un afflux de malades qui se mêlent aux pèlerins. Devant le spectacle de la misère de ces gens qui se bousculent pour approcher les reliques, des seigneurs locaux, compatissants décident de se consacrer à leur accueil et créent une confrérie laïque dénommée la Maison de l'Aumône, dont Gaston de Valloire, l'instigateur, sera le premier Grand Maître (1095).
Peu à peu, la Maison de l'Aumône se structure. De laïque elle devient une communauté de frères. Elle bâtit un hôpital pour recevoir les malades et leur prodiguer des soins. Elle développe des techniques médicales au travers de décoctions (Saint Vinage), d'onguents (baumes) et d'interventions chirurgicales simples (amputations). Un deuxième hôpital, dit des hôpital des démembrés, est construit. Il permet aux amputés (démembrés) qui le souhaitent de rester à demeure. Le principe de l'hospice est né.
En 1297, le pape Boniface VIII met fin à une situation devenue inextricable en renvoyant les bénédictins à Montmajour et en érigeant la Maison de l'Aumône, en un ordre religieux : les chanoines réguliers de l'Ordre de saint Antoine.
Aymon de Montagne, le dernier Grand Maître de la Maison de l'Aumône dont le rôle dans les différends avec les bénédictins et la création de l'ordre antonin a été essentiel, devient le premier Abbé de l'ordre de Saint-Antoine (1297). La vocation hospitalière de l'Ordre est confirmée. Les Antonins entrent en possession des reliques et prennent à leur compte la construction de l'église actuelle.
Les 14ème et 15ème siècles constituent, alors, pour l'Ordre, une période de splendeur qui se traduit par la poursuite de son extension dans toute l'Europe grâce à l'efficacité de son organisation, à la réputation acquise et à une protection pontificale particulièree. L'abbé, qui exerce son autorité sur l'abbaye et ses commanderies, a rang d'évêque et siègera au Parlement de Grenoble. Il joue un rôle de conseiller et de diplomate. La compétence des antonins tant au plan de la gestion hospitalière qu'au plan médical est reconnue. L'Ordre relève directement du pape et bénéficie de l'exemption de juridiction, c'est-à-dire qu'il échappe à la juridiction territoriale de l'archevêque de Vienne. L'abbaye est « chef d'ordre » pour toutes les commanderies (on dit aussi préceptories) générales, commanderies subalternes, priéurés,hôpitaux et maisons de quête disséminés dans toute l'Europe.
On dénombre plus de 380 établissements rattachés à la Maison-mère. Le pape, lui-même, confie aux Antonins l'hôpital Saint-André de Rome. C'est dire la confiance accordée à l'Ordre. L'Ordre s'enrichit grâce aux largesses accordées et aux acquisitions faites. L'église abbatiale voit les plus grands accourir auprès des reliques : des rois (Charles V, Charles VII, Louis XI, François 1er ...), des empereurs (les empereurs d'Allemagne Charles IV et Sigismond ...), des princes et des princesses (Anne de Bretagne, le duc d'Anjou, le duc de Bourgogne ...) enfin, des papes (Martin V, les futurs Clément VII et Benoit XIII ...).
Hélas, au 16ème siècle, les Guerres de religion qui dureront plus de trente ans (1562-1598), mettent un terme à cette magnificence. Les huguenots, envoyés par le baron des Adrets, investissent, à cinq reprises, la petite ville. Ils pillent le trésor et les reliquaires. Ils brûlent les archives dont les terriers qui justifiaient les droits et les créances de l'ordre sur leurs dépendances. Ils s'acharnent également sur l'église dont la statuaire et les vitraux sont brisés et incendient le clocher. La paix revenue, les chanoines ne découvrent, à leur retour, que ruines et désolation.Sous la houlette de l'abbé Tholosain, élu en 1597, et de ses successeurs (notamment Jean Rasse), l'Ordre connait un sursaut : réformation de la règle, réfection du clocher, rénovation des bâtiments, nouvelles constructions, remaniements dans le bourg. Après un éphémère retour, le feu de saint Antoine disparait pratiquement à partir de 1730 et la vocation hospitalière, qui justifiait l'existence de l'ordre des antonins, s'est considérablement amenuisée.
Au 18ème siècle, les vocations diminuent, l'Ordre se meurt. Les derniers abbés sacrifient aux goûts du jour - nous sommes au siècle des Lumières - en donnant à l'abbaye un lustre scientifique, théologique, littéraire. L'abbaye s'endette, les dons deviennent rares, les vocations aussi.
Une commission des réguliers (1766-1780) est instituée par Louis XV pour limiter le nombre des ordres religieux. L'ordre est uni à l'Ordre de Malte et disparait du même coup en 1777. Le séjour des Chevaliers de Malte à Saint-Antoine est très court : le lieu est trop retiré, le climat trop rude. Ils emportent à leur commanderie de Lyon les archives et les livres les plus rares de la bibliothèque et cèdent l'abbaye à des Dames chanoinesses de leur ordre. Issues uniquement de familles nobles (la justification de huit quartiers de noblesse était nécessaire), celles-ci s'installent en 1787 et transforment les bâtiments monastiques en appartements particuliers, ce qui entraîne la destruction, entre autres, du réfectoire gothique et de l'admirable rosace qui l'illuminait.
La Révolution, ici comme ailleurs, pille l'édifice, éparpille les biens et provoque la vente des bâtiments conventuels qui, pour la plupart, seront transformés en usines. L'église, elle, devient église paroissiale.
En 1840, Prosper Mérimée, lors de son tour de France des monuments, la remarque et la fait classer monument historique.
Mal des ardents
ou Feu de saint Antoine ?
Le Moyen-âge a été traversé par un certain nombre d'épidémies aux conséquences funestes. On appelait sous le terme générique de « peste » ces maladies à forte mortalité et qui se propageaient ponctuellement pour une plus ou moins longue durée.
C'est à partir de témoignages et de diagnostics qui se feront de plus en plus précis avec le temps, qu'on identifia une maladie qui n'avait d'épidémique que le grand nombre de personnes atteintes à la fois. Cette maladie, qui, avec le recul, s'avèrera plutôt comme endémique, sévissait notamment à l'issue de longues périodes froides et humides et en temps de disette. La maladie se présentait sous deux formes : une forme convulsive qui se traduisait par des contractures, des convulsions voire des hallucinations - c'était le Mal des ardents - et une forme gangréneuse qui générait des vasoconstrictions, des nécroses des membres. Elle prit le nom de Feu de Saint-Antoine dès qu'on constata la part prise par ce saint dans sa guérison. Les membres noircissaient, séchaient puis se détachaient du reste du corps.
Ce n'est qu'au 16ème siècle qu'est découverte la cause directe de la maladie, l'ergot du seigle, ce qui sera confirmé plus tard par l'Académie royale des Sciences. La maladie recevra alors le nom d'ergotisme. Dans des conditions climatiques de froid et d'humidité, un champignon parasitait les céréales et plus particulièrement le seigle. Son absorption provoquait une intoxication avec les conséquences que l'on connait. Une période de disette ne faisait qu'accentuer le risque.
Le Saint Vinage : un remède miraculeux
Les antonins prodiguaient des soins aux malades sous forme d'un breuvage et de baumes. Les baumes étaient fabriqués à base de graisse de porc et de plantes. Le breuvage est connu, lui, sous le nom de Saint Vinage.
Vinage, parce qu'il était élaboré avec du vin, provenant des vignes jouxtant l'abbaye, dans lequel étaient mises à macérer certaines plantes aux vertus reconnues. Ces plantes, au nombre de 14, étaient les suivantes : grand plantain, plantain lancéolé, coquelicot, verveine, renoncule bulbeuse, scrofulaire aquatique, ortie blanche, chiendent rampant, véronique petit-chêne, gentiane croisette, dompte-venin, trèfle blanc, souchet et épeautre.
Saint, parce le breuvage était béni et mis en contact avec les reliques le jour de l'Ascension qui était celui de la grande procession de la châsse de saint Antoine.
Les armoiries des Antonins
Les chanoines antonins portaient un signe distinctif sur leur vêtement : un Tau d'azur. Ce tau apparait alors dans leurs armoiries . Puis dès 1502, il est posé sur la poitrine d'un aigle bicéphale de sable couronné d'or.
En effet, dès cette date, l'empereur Maximilien d'Autriche, en hommage aux services rendus par les Antonins, concède à l'Ordre le droit d'adjoindre à ses armoiries l'aigle bicéphale qui orne celles de l'empire autrichien.
Le choix du Tau comme emblème s'appuie sur plusieurs hypothèses qui ne sont pas opposables les uns aux autres Le Tau est la représentation de la croix du Christ.
C'est la dernière lettre de l'alphabet hébraïque et il a une valeur symbolique dans l'Ancien Testament ("le Tau sur le front des hommes qui souffrent et qui gémissent"),
La dix-neuvième de l'alphabet grec. Il porte en lui le signe de la connaissance (bon nombre d'antonins étaient des érudits et des savants, tel Jean Borrel.),
C'est aussi le bâton en forme de croix à trois branches sur lequel s'appuyait saint Antoine,
C'est enfin un symbole hospitalier (béquilles des estropiés),
A noter que saint François et, par suite, les Franciscains ont également adopté le tau, mais il ne figure pas dans leurs armoiries.